INTERVIEW+
NATHAN HARBONN: Dévoiler l’intime à travers la peinture
Nathan Harbonn, peintre parisien, nous ouvre les portes de son univers , où les scènes du quotidien prennent une dimension intime, parfois troublante. Dans cette interview, il partage sa vision du rôle de l’art comme miroir de notre époque, explorant des thèmes tels que l’humanité, la solitude, et notre rapport au corps et à la nature.
Selon vous, quel est le point commun entre vous et vos peintures? Cela pourrait être une bonne manière de vous présenter.
“La spontanéité est, je pense, ce qui transpire le plus de ma personnalité dans mes peintures. Une spontanéité presque gênante par moments, naïve ; souvent, lorsque je regarde certaines toiles, j'aimerais voiler ce côté irréfléchi, mais il ne le faut pas. Avec l'huile, grâce à la superposition des couches et aux temps de séchage, il m'arrive de réussir à habiller cette spontanéité. Avec l'acrylique, c'est peine perdue. C'est à la fois quelque chose dont je suis fier et l'aspect dont je suis le plus pudique.
Par ailleurs, je pense que l'éclectisme se ressentira de plus en plus à mesure que j'avance. Cela se ressent dans mon parcours, étant passé de la réalisation de film d’animation, à l’écriture, puis finalement la peinture.
J’ai ce besoin de renouveau assez fort qui me pousse à changer de style et à rechercher d'autres manières de créer. Je doute que le fond change réellement, mais ma peinture est vouée à changer de forme régulièrement. ”
Quelles sont les thématiques qui vous sont chères?
“La thématique principale sous-jacente de mon travail est le rapport de l'être humain au monde moderne, et donc à lui-même. C'est un rapport particulier : l'humain est à la fois un être tout-puissant et une créature fragile dont la dignité est entachée. Notre rapport à la nature, à l'amour, et à la spiritualité s'est aussi transformé. Ce sont les conséquences de cet état de fait que je tente d'exprimer.
L'enfance, le cataclysme, la nature, la religion, le couple, la solitude, la fête, sont des thématiques symboliques qui reviennent souvent et qui me permettent de mettre en images mes ressentis.”
Peinture “scène de chambre” dans un appartement parisien
Dans l’atelier de Nathan Harbonn
Dans vos peintures, on perçoit souvent le domaine de l'intime. Le spectateur semble presque voyeur d'une scène à laquelle il ne devrait pas avoir accès. D'où viennent ces scènes et pourquoi les peignez-vous?
Il est très difficile pour moi de dire d'où viennent ces scènes, si ce n'est d'un espace pictural mental difficilement descriptible. Cet espace mental est profondément intime ; ce qui en sort, pour garder sa puissance originelle, ne peut être voilé ou censuré. Ce serait la mort de l'image.
La peinture a cet avantage qu'elle ne parle pas et qu'elle n'est qu'une image, sans suite. Elle se suffit à elle-même.
Pour qu'elle marque un spectateur, pour qu'il s'arrête et se questionne, il me semble qu'il faut le troubler en lui dévoilant justement des scènes auxquelles, sans la peinture, il n'aurait pas accès. Des scènes mentales pleines de poésie et crûment dévoilées.
Quant à savoir pourquoi je peins ces scènes, je ne suis pas sûr. Parce qu'elles sont là, dans ma tête, parce que les peindre est un exutoire agréable, vital peut-être. C'est une quête personnelle, identitaire aussi. Parce que j'ai l'impression de mieux comprendre le monde après, et parce que je sens qu'image après image je m'améliore, et je veux savoir jusqu'où je peux pousser cette compréhension des couleurs.
La nudité joue également un rôle important, ou du moins apparaît régulièrement dans vos peintures. Quelle place le corps occupe-t-il dans votre œuvre?
“Le fait est qu'encore aujourd'hui, le corps est assez tabou dans la société. Il n'est jamais représenté nu, toujours légèrement voilé, couvert, d'une manière qui paradoxalement le sexualise. Seul l'art le représente encore nu, sans artifice, dans sa forme la plus pure. Et bien que cela puisse être un objet de désir, un corps nu appelle beaucoup moins au vice qu'un corps légèrement vêtu. Tout est une question de suggestion.
Peindre les corps nus est quelque chose qui m'est venu très naturellement, peut-être parce que cela renvoie à l'imagerie antique, lorsque l'homme entretenait encore un rapport intime avec la nature. Je peins le corps nu parce qu'il me permet aussi de créer des scènes hors du temps, sans parler de la force symbolique qu'il possède. Qu'on le veuille ou non, un corps nu est une image puissante dans ce monde contemporain où il suffit d'un sein nu pour déclencher le scandale. Replacer ce corps au cœur des réflexions contemporaines, c'est lui redonner de la dignité, le laver des vices qu'on lui confère sans raison.”
Qui sont les artistes qui vous inspirent?
Vue de l’exposition Cecily Brown: Death and the Maid - Photo: Paul Lachenauer, courtesy of Cecily Brown and the Met
Vue de l’exposition "Christine Safa : La forme rêvée d’une forme vue". Photo : Fabrice Gibert / Galerie Lelong & Co.
“Il y en a énormément et pour des raisons complètement différentes. En ce qui concerne la peinture contemporaine, récemment, j'ai eu un regain d'intérêt pour l'œuvre de Cecily Brown, une peinture très spontanée justement, sur des formats gigantesques.
Je m'intéresse aussi beaucoup à l'œuvre de Christine Safa en ce moment, dont la peinture, et surtout la touche et l'intensité des couleurs, me parlent particulièrement.
Lou Ross et ses paysages presque abstraits.
Mais n'ayant pas fait d'école d'art à proprement parler, j'ai surtout évolué en regardant les modernes : Bonnard, Vuillard, Matisse...”
Si vous pouviez vivre entourée de n'importe quelles oeuvres, lesquelles choisiriez vous d'ajouter à votre collection pour les voir chaque jour?
Je choisirais un Bonnard, c'est certain. Je reviens très souvent à Bonnard. J'aime les sujets, et sa manière de peindre provoque chez moi une véritable incompréhension, ce qui est un sentiment particulier pour un peintre. Ne pas comprendre comment est fait un tableau... Souvent, on se fait une vague idée, on a des pistes. Bonnard reste pour moi un mystère.
J'y ajouterais des Matisse pour m'encourager à oser les couleurs, des croquis de Hockney, et un paysage de Vallotton parce qu’ils m’apaisent profondément.
“Nuit tombante sur la loire” Vallotton
“Femme endormie” De Pierre Bonnard
“Odalisque à la culotte rouge” Henri Matisse
“Mother” David Hockney