INTERVIEW+
Anne Renaud: l’intuition au coeur de la création
Aujourd'hui, nous avons le plaisir de vous présenter Anne Renaud, une artiste peintre dont les œuvres captivent par leur profondeur et leur sensibilité. À la frontière entre le figuratif et l’abstrait son oeuvre dégage une poésie singulière.
Dans cette interview, Anne partage avec nous son processus créatif, guidé avant tout par l'intuition et le geste.
Découvrez son approche unique et instinctive à travers cette conversation avec notre fondateur.
Quand vous peignez, qui dirige: vos mains ou votre tête?
“Je ne sais pas, c’est une sorte d’aller-retour permanent entre les deux.
Il y a l’intention première, qui est parfois juste une intuition, une envie de certaines couleurs ou de formes mais je trouve que la main, c’est-à-dire la pratique, oblige à ralentir. C’est un temps particulier. Je ne veux pas non plus savoir exactement ce que je vais peindre et je sais que la peinture va passer par énormément d’étapes et de recouvrements avant d’être terminée.
Il y a un équilibre très fragile entre ce que l’on sait, le vocabulaire développé au fil des années, et la tentative de faire quelque chose de nouveau et de se faire surprendre. Je cherche à reconnaître ce que j’avais en tête mais si c’est trop évident je l’efface ou le modifie. C’est une ambiguïté très délicate à trouver.”
Peinture Sans Titre “14-24” par Anne Renaud
Peinture Sans Titre “02-24” par Anne Renaud
Quels artisteS ont changé votre perception de l’art?
“La peintre américaine Amy Sillman. Elle écrit beaucoup et j’ai découvert ses textes et ses conférences avant même de me pencher sur son travail. Ses réflexions sur l’humour, l’improvisation, le corps dans la peinture, être un corps qui peint, la forme…
Charline Von Heyl pour la très grande liberté que ses peintures dégagent, il y a une joie et une curiosité dans son travail qui me font beaucoup de bien.
Je pourrais en citer d’autres mais ce sont deux artistes vers lesquelles je reviens souvent dans mes moments de doutes ou de blocage. La peinture n’était pas très présente en France pendant mes études et pas vraiment encouragée et je crois que ce genre de pratiques picturales m’ont décomplexée et m’ont vraiment aidée à devenir peintre.
Vue de l’exposition: Temporary Object, Amy Sillman, Thomas Dane Gallery, Naples, Italy, 26 April - 29 July 2023
Chaline Von Heyl, Night Doctor, 2013, Huile et acrylique sur toile
Dans vos peintures on dirait souvent que les fruits prennent un forme humaine, ou les humains une forme inhumaine. Comment êtes vous arrivé à cette écriture?
J’ai toujours pris pour sujet des éléments naturels, des paysages, mais au bout d’un moment je me suis ennuyée et j’ai eu envie que mes peintures soient « habitées », c’est là que des éléments anthropomorphiques sont arrivés très progressivement: des signes d’une présence humaine qui venaient perturber un peu mes compositions, puis des fragments de corps comme des doigts, tétons, orteils, orifices…
Je regardais beaucoup d’images de vieux cartoons et j’étais fascinée par le grotesque et la violence de ce que certains gags faisaient subir aux corps des personnages. C’est quelque chose que j’ai voulu intégrer dans mes peintures d’abord comme des éléments isolés qui venaient se greffer aux éléments naturels, puis à force de zoomer sur le sujet ça a fusionné petit à petit et on est dans cette ambiguïté permanente entre forme et figure.
Récemment vos peintures sont de plus en plus abstraites, et se résument parfois à deux formes qui cohabitent ou se mélangent dans l'espace réduit de la toile. Que signifient ces formes pour vous?
Ce sont des fragments de corps ou des fruits, des choses vivantes et charnelles, mais surtout une conversation entre des figures. Les fruits sont un bon prétexte pour faire entrer des figures en conversation, peut-être dans une envie de me confronter au genre du portrait mais sans l’aborder frontalement. On y voit facilement une tête, un oeil, des fesses…
Et puis ne pas trop charger les peintures c’est assez compliqué pour moi donc c’est une manière de ralentir pour trouver ce qui va suffire à exprimer un rapport de force entre deux formes.
J’aime bien l’image du clin d’oeil, comme un mouvement discret et délicat au milieu de ces formes plus sculpturales.
Le fait de travailler chez moi ces dernières années dans un espace réduit m’a aussi sûrement poussée vers ces sujets plus domestiques et à m’intéresser à la nature morte dans des formats plus petits et plus intimes.
Peinture Sans Titre “10-22” par Anne Renaud
Peinture Sans Titre “23-23” par Anne Renaud
Si vous pouviez vivre entourée de n'importe quelles oeuvres, lesquelles choisiriez vous d'ajouter à votre collection pour les voir chaque jour?
Une aquarelle de Georgia O’Keeffe, de la série Evening Star. Un paysage de Munch, le « Clair de Lune » ou un paysage de plage. Une ou plusieurs gravures de la série « Los Caprichos » de Goya. Le « Garçon mordu par un lézard » du Caravage, ou bien « Méduse », ou les deux. « Le Vent » de Félix Vallotton. Une peinture d’Huguette Caland, une de ses bribes de corps. Helen Frankenthaler, « Cool Summer ». Une peinture de Shirley Jaffe, une d’Etel Adnan…
“Claire de Lune” D’Edvuard Munch
“le vent” Felix Vallotton
Grave de la série “los caprichos” de Goya
“Garçon mordu par un lezard” Caravagio
“Bribe de corps” Huguette Calan
“Cool summer” Helen Frankenthaler